Des avantages de vivre hors de la ville

Bon, ok on ne va pas chercher notre baguette à pied et nous ne disposons pas d'une boutique de BD à deux rues ni d'un petit resto sympa pas loin. Mais bon, on a bien d'autres avantages, comme celui de pouvoir par exemple proposer à notre mecton une petite visite à des ovins et caprins qui paissent à quelques minutes de marche, là où tant de gosses urbains doivent acheter un billet pour découvrir qu'en vrai un mouton c'est passablement blanc, c'est assez gros et ça sent pas super bon.

Robin adore ces bêlants et béguetant voisins (et oui, la chèvre béguète, on en apprend des choses avec moi, non?) et peine même à se retenir de les caresser, mais bon, comme j'ai pas envie d'aller récupérer un doigt de mon fils dans une gueule de brebis et de l'amener aux urgences pour qu'on le lui recouse, on reste vigilants.

Et comme la campagne recèle bien d'autres trésors, je vais m'offrir une digression sur la jeunesse des petits patelins lorrains afin de commenter comme il se doit le magnifique cliché qui va suivre. Amis ruraux, n'y voyez pas une charge contre votre rusticité naturelle : je conviens que les jeunes des villes sont guère mieux, mais bon, les vôtres sont quand même plus roots, ce qui touche ma fibre nostalgique.

En gros, les jeunes ploucs s'émancipent tout d'abord avec leur mobylette à 14 ans. Ils ont alors tout loisir de parcourir de long en large le bourg assis sur leur saloperie qui fait un bruit de mixer sans jamais sortir de la commune ... Imaginez un peu l'épanouissement que procurent des allers-retours sur une vieille meule tout le samedi après midi dans la même rue et vous approcherez le niveau culturel de cette saine jeunesse. Et le pire, c'est que quand on les croise sur leur grotesque cyclomoteur qui hurle de peine à 40km/h, ils lancent un regard de hells angel qui n'a peur de personne en Peugeot 103 sport.

Comme ils n'ont que ça à faire quand ils ne la pilotent pas à travers le bourg, les jeunes ploucs bichonnent leur mobylette en y accrochant des queues d'écureuil synthétiques et en y fixant des guidons chromés torsadés (oui, les jeunes ploucs vivent encore dans les 80's) ou pour les plus culottés, s'efforcent de lui donner des airs de vraie moto en bricolant sous votre fenêtre toute la journée afin de faire tenir un carénage maison sur la carcasse de leur 103. Effet garanti, on y croit direct. Surtout quand ils démarrent dans un pétaradant tintamarre aigrelet.

Et puis un jour arrive où ils ont 18 ans. Comme ils roulent déjà depuis 8 ans le tracteur de Tonton Riton et depuis 3 ans la BX de papa, ils réussissent le permis dans la foulée et se voient offrir leur première automobile. Et c'est là que ça commence pour de bon : l'automobile, c'est la liberté, la possibilité de parcourir les 15 km qui séparent notre plouc de la ville afin d'y découvrir les échoppes, les bistrot, les boites de nuit, etc. En fait, dans notre bourgade, ça ne sert surtout qu'à dépenser son argent de poche en équipement destinés à rendre l'automobile plus ... enfin, moins ... Euh ... Je ne saurais pas dire mais en gros, le coffre est remplacé par d'énormes haut-parleurs, qui déversent de la boum-boum à un nombre de BPM inversement proportionnel au quotient intellectuel de poète qui pilote la bouse à quatre roues, et l'auto est sublimée au moyens d'éléments de décoration et d'amélioration des performances sélectionnés avec discernement, comme un pot d'échappement quatre fois trop large, des autocollants d'un goût exquis, des pneus énormes, un volant sport ou une trappe à essence chromée.

En un mot comme en cent, nos jeunes ploucs ne sortent pas du hameau et se retrouvent devant chez les uns ou devant chez les autres, avec leurs horreurs qui dégueulent de la techno pour décérébrés, au grand bonheur des habitants du lieu. Et pourquoi je vous raconte ça? Parce qu'en revenant de la promenade aux moutons, j'en ai vu une dans mon village que j'avais pas encore vue et qui m'a ému.

Sérieusement, appréciez les détails, il s'agit là d'un esthète! La peinture recouvre le bouchon d'essence comme il se doit (lui au moins n'a pas simplement acheté un bouchon chromé chez Norauto!), il y a un petit aileron de requin sur le toit, à l'arrière, pour fendre l'air de façon encore plus efficace et, le clou de l'"amélioration", il y a une sorte de spoiler à l'avant, avec deux pointes agressives pour donner un air de bête sauvage à la bagnole. Perso, quand je vois des citadines quelconques tunnées comme ça, je me dis que tout n'est pas perdu. Et c'est encore chez nous, au milieu des ploucs, qu'on voit les plus belles.